- Dossier
Par Christian Sonon
Le film où la Vierge fait une apparition
« Il y a un bulldozer en train de dévaster tout mon jardin !… Et le compromis de vente n’est pas encore signé… Quoi ? Une erreur de timing !… » Le jeune gars éberlué qui hurle dans son GSM, c’est Brice, un citadin nouvellement installé dans un petit village des Ardennes et qui s’évertue à faire face à un énorme projet de centre de vacances. Ce matin-là, il a été sorti de son lit par un vrombissement menaçant et a aussitôt appelé le bourgmestre pour avoir des explications. Son épouse l’a rejoint devant la porte du jardin. Scandalisée, elle aussi. La caméra cadre sur les visages : « Salaud ! », crie la jeune femme. « Tu dégages ! », hurle son mari. « C’est bon, coupez ! »
Le tournage de Jacques a vu, le premier long métrage du Namurois Xavier Diskeuve, a démarré le 13 juillet. Une aventure de trente jours dans laquelle se sont embarqués une trentaine de techniciens et une cinquantaine de comédiens, dont Nicolas Buysse et Christelle Cornil, le couple de néoruraux, mais également François Maniquet. L’économiste de renom et Prix Francqui 2010, interprète le rôle d’un fermier, Jacques, qui aurait vu… la Vierge. Pendant une semaine, l’équipe s’est installée dans une rue tranquille de Wépion. La maison qui accueille le tournage est en état de délabrement. Justement ce que cherchait Xavier qui l’a repérée alors qu’elle était encore en vente. Elle ne l’est plus, mais le nouveau proprio n’était pas encore là pour lancer devant les camions et caméras : « Qu’est-ce que vous foutez ici ? J’ai déjà signé le compromis de vente ! »
Ce lundi de tournage est le jour le plus chaud de l’année et l’équipe, venue des quatre coins de Wallonie, souffre un peu plus à chaque prise. Victoria Garnier (Liège), la régisseuse plateau, court de l’un à l’autre avec de la crème (sans fraises, c’est pour le soleil) et Cathy Tilman (Namur), la chef maquilleuse, monte sans cesse aux fronts pour les éponger. Dans la cour, la tension grandit car la pelleteuse est maintenant nez à nez avec la caméra. L’affrontement est inévitable. Arnaud Kervyn (Forest), le 1er assistant-réalisateur, demande de refaire une prise pour que les spectateurs aient l’impression que l’engin arrache vraiment des branchages. Tandis que Jean-Paul De Zaeytijd (Soignies), le chef opérateur – Magritte de la meilleure image pour Les géants –, vérifie la lumière, Damien Chemin (Tourinnes-la-Grosse), le cadreur, propose au grutier de déverser le chargement de la benne juste devant l’objectif. Celui-ci le déconseille car la grosse branche pourrait faire toboggan et abîmer la caméra. Il faudra travailler en deux temps. « Nous avons loué cette pelleteuse dans une entreprise, explique Nicolas George, le directeur de la production (Les Films du Carré, à Liège). Nous avons également dû trouver trois autocars pour les touristes, une voiture blanche pour simuler un taxi romain, une vieille guimbarde pour le couple, etc. » « Si l’on ne trouve pas ce qu’il faut en location, on joue la débrouille en ayant l’oeil sur les notes de frais », surenchérit Bastien Martin (Fossesla- Ville), l’assistant de production. La débrouille ? Pour le grutier, par exemple, Bastien a amené Eddy, son père, dont c’est le métier. « Je suis en congé, je suis donc venu raser gratis ! », confirme l’intéressé. Puis, comme quelqu’un lui demande d’être plus violent avec son engin : « Hé ! Ho ! Il y a une citerne de gaz, là, dans les broussailles. Pas envie de tout envoyer en l’air… »
« J’espère qu’on aura le Magritte du meilleur grutier ! », nous susurre Xavier. Puis, à la cantonade : « Allez ! On va manger un bout à la cantine du terrain de base-ball. Et cet aprèsmidi, tous à Godinne ! » On lui demande où il envoie son équipe. « À la gare ! » Mais il nous rassure : « Nous tournons le départ du couple pour le Vatican… » Ah ! Le Pape fait une apparition aussi ?
Un premier long qui a failli tourner court !
« Quand j’étais jeune, je voulais être critique de cinéma, explique le réalisateur. Mais je suis devenu journaliste et c’est en suivant Benoît Mariage sur un tournage avec Benoît Poelvoorde que je me suis dit que ça ne devait pas être si compliqué d’être derrière une caméra… »
C’est en adaptant une de ses nouvelles qui avait décroché le prix Polar RTBF que Xavier Diskeuve se jette à l’eau. Entre 2002 et 2009, il réalise quatre courts-métrages qui se révèlent laborieux (à cause du financement), mais lui apportent satisfaction (grâce aux récompenses). Le Namurois décide alors de passer à la longueur supérieure avec Jacques a vu. Pas un film à message, car il s’agit d’une comédie. Mais le réalisateur aimerait néanmoins montrer qu’avec la disparition des petits commerces et l’érection de lotissements en cascade, c’est l’âme des villages wallons qui « pèt è-vôye » ! Première constatation : il est plus facile de trouver des comédiens qu’un producteur ! « François est un ami de longue date, Christelle et Nicolas sont devenus des potes. Ils répondent présents à chacun de mes films. Mais pour recevoir des aides à l’écriture et à la production, quelle galère ! Le tournage a longtemps été retardé. C’est le réalisateur Emmanuel Jespers qui a débloqué la situation en acceptant de produire le film via sa société Ezechiel 47-9 et Iota Production s’est joint à la production. Le budget approche le million d’€. Le film n’a pas reçu le soutien de Wallimage, mais j’ai finalement obtenu une aide à la production et plusieurs entreprises ont apporté leur contribution via le tax shelter. »
Deuxième constatation : il n’est pas facile non plus de dénicher les lieux de tournage rêvés. « La production a longtemps cherché dans le nord de la France et le Grand-Duché de Luxembourg avant de revenir dans la région, ce qui avait pour avantage de minimiser les frais de déplacements et de logement de l’équipe. Je me suis alors lancé dans le repérage pendant des mois, mais ce n’est guère aisé de trouver autour de Namur des sites pouvant être affublés d’une casquette ardennaise. Résultat, tous les lieux principaux sont dispersés : la maison de Brice est à Wépion, la ferme du cousin Jacques à Bothey (Gembloux), la boulangerie à Lesve (Profondeville), la boucherie à Evrehailles (Yvoir), l’église et le centre du village à Annevoie (Anhée)… Lors de notre première reconnaissance en équipe, nous avons mis trois jours en minibus pour faire le tour des sites ! »
Et comme on lui demande s’il a eu plus facile avec la Vierge : « Pas trouvée dans la région, il n’y en avait plus ! » (Rires)
Christelle Cornil, de Ghislain Lambert aux frères Dardenne
Contrairement à Xavier Diskeuve, François Maniquet et Nicolas Buysse qui sont tous trois Namurois, Christelle Cornil vient du Brabant wallon, plus précisément d’Ottignies. « C’est la troisième fois que je tourne avec Xavier, explique la jeune femme. Il était venu me trouver au Festival International du Film Francophone de Namur après m’avoir vue dans “Le vélo de Ghislain Lambert”. J’avais le profil qui convenait. J’ai d’abord formé un couple avec François dans “Mon cousin Jacques”, en 2003, puis il m’a de nouveau appelée pour Révolution en 2005 et me revoici aujourd’hui pour son premier long. »
Entre-temps, Christelle, qui a été formée aux conservatoires de Mons et de Bruxelles, s’est frayé une petite place dans le monde du cinéma. Parmi sa filmographie, déjà large d’une vingtaine de longs métrages : Cowboy, de Benoît Mariage, Soeur Sourire, de Stijn Coninx, Illégal, d’Olivier Masset-Depasse – qui lui a valu le Magritte du second rôle – et L’épreuve d’une vie, de Nils Tavernier, qu’elle vient d’achever.
« Mes rôles sont plus importants dans les films belges que dans les films français. Devrais-je m’installer en France ?, s’interroge l’actrice. Je ne sais pas. L’été dernier a été difficile pour moi, notamment en raison du report du film de Xavier. Mais cette année, cela se goupille mieux. Après ce tournage, je vais rejoindre le plateau de “Deux jours, une nuit”, le nouveau film des frères Dardenne, avec Marion Cotillard. Ce sera un autre univers. J’espère que le film me fera davantage connaître. »