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De la magie dans l'air

Deux magiciens liégeois peuvent-il titiller la curiosité des responsables retail de l’un des deux plus grands groupes de luxe mondiaux ? C’est en tous cas ce qui vient d’arriver aux fondateurs de la société Levita. Gros plan sur un projet qui réconcilie poésie et technologie.

 

Clément Kerstenne a 30 ans. Philippe Bougard, 34 ans. Les deux Liégeois se sont rencontrés dans les clubs de magie où ils se produisaient régulièrement en marge de leurs études. Leur crédo : l’art de l’illusion couplé à un sacré sens de l’entrepreneuriat qui les amènent à faire le show lors de rendez-vous professionnels ou semi-professionnels, mais aussi à créer des tours pour d’autres magiciens. In The Air, la société que les deux étudiants entrepreneurs fondent en 2012, leur assure une entrée fracassante dans l’univers de la magie promotionnelle. Inaugurations, lancements de produits, team building, vidéos… Rien ne leur fait peur. Le CEO d’un grand groupe souhaite décoincer l’atmosphère au moment de présenter les résultats annuels de son entreprise ? Le duo fait prendre la sauce. Dans leurs shows et services destinés aux entreprises comme aux particuliers, les trentenaires liégeois intègrent des éléments digitaux, mais sans tomber dans le travers de la performance totalement déshumanisée.

Principe de gravité

En 2018, forts de cette première expérience, Clément Kerstenne et Philippe Bougard lancent Levita, une société centrée sur un produit phare qui automatise le principe de lévitation, un classique de l’illusion. Le résultat ? Un produit commercialisable dans le monde entier, même en l’absence d’un magicien. Trois ans après la création de Levita, quatre collaborateurs œuvrent désormais aux côtés des deux fondateurs pour assurer le développement de ce projet qui, à l’instar de In the Air, a conservé son QG en Cité Ardente. Pour créer le Gravity Display, une technologie unique au monde, les Liégeois ont capitalisé sur leurs propres tours de magie, mais aussi sur des techniques d’ingénierie permettant de proposer une boîte connectée, idéale pour présenter un produit de luxe dans un magasin. Contrairement à d’autres dispositifs connectés du même genre, cette vitrine accueille un ou plusieurs objets (une montre, une paire de lunettes, un bijou ou un téléphone portable) placés en lévitation. Depuis quelques mois, le concept a évolué pour accueillir des objets plus lourds, dont une bouteille de champagne de Moët Hennessy d’environ un kilo.

De Tokyo à Dubaï

Boostée par les aides accordées par l’Awex, la petite équipe autour de Clément Kerstenne et Philippe Bougard a conçu ce Gravity Display en huit mois. Tout, depuis le prototype en bois jusqu’au développement du logiciel, a été pensé et fabriqué à Liège. D’emblée, le dispositif séduit les grands noms du luxe, dont la marque de montres suisses Roger Dupuis, propriété du groupe Richemont qui, après une première expérience réussie, lui a déjà commandé quatorze boitiers supplémentaires. Malgré la pandémie et la fermeture des magasins, Levita a également capté l’attention d’Audemars Piguet, autre grand nom de l’horlogerie. A ce stade, le Gravity Display est le produit phare de la société liégeoise, mais les fondateurs de Levita ne comptent pas en rester là. Leur force : offrir une expérience unique qui fascine tout en conservant son côté mystérieux. Quand Levita s’invite sur des salons internationaux, même les ingénieurs qui tentent de percer son secret n’y parviennent pas. L’objet est là, devant eux. Le vendeur peut le retirer de la vitrine, le manipuler et même le faire essayer à un client. Avec cet objet qui tourne sur lui-même, à quelques centimètres du public, on est donc loin des expériences virtuelles et aseptisées de l’ère Covid.

D’autres tours de magie

Pour étoffer leur offre, les créateurs du Gravity Display et de sa version mini – une réponse au besoin des marques de disposer d’un produit plus compact – comptent lancer d’autres concepts. Car rien ne semble effrayer cette petite équipe qui capitalise sur sa proximité géographique avec les acteurs du luxe et ses connaissances approfondies dans le secteur de la magie pour contrer d’éventuelles copies issues du marché chinois. Sans parler, bien entendu, des tours que Clément et Philippe réalisent chaque fois qu’ils présentent leur produit aux responsables des grands groupes de luxe.

Pour que la magie opère, les concepteurs de Levita rivalisent de créativité. Dernièrement, ils ont ainsi lancé la Travel Box, un dispositif qui permet de faire passer un objet d’une boîte à une autre sur le principe de la télé-transportation ou encore un concept inspiré des techniques de mentalisme.

Repéré par LVMH

l’issue du second confinement, Levita s’est fait remarquer lors des Innovations Awards organisés par le groupe de luxe LVMH. Et si, à l’issue de la compétition, la société liégeoise qui figurait parmi les onze finalistes (sur près de mille candidatures) n’a pas décroché de prix, elle a été choisie pour rejoindre la Maison des startups, un programme proposé par le géant du luxe visant à mettre en contact les porteurs de projets et les responsables retail des septante-cinq maisons du groupe. Vous pensiez que l’univers de la magie était quelque peu poussiéreux ? Que les vieux tours de prestidigitation souffraient d’une image stéréotypée et ringarde ? Tous âgés de moins de 35 ans, les quatre collaborateurs de Clément Kerstenne et Philippe Bougard contribuent à faire de Levita une start-up dynamique, ambitieuse et à taille humaine ; une start-up qui flirte avec l’univers de l’art en s’invitant dans certaines galeries et, si tout se passe comme prévu, au prestigieux Musée du Louvre à Paris. Brouiller les pistes. S’inviter là où on ne les attend pas. Repousser les limites du possible et du crédible : le crédo de Levita.

Et même lorsqu’ils présenteront leurs produits sur le pavillon belge à Dubaï cet automne, les deux complices ne se contenteront pas de faire la promotion de leurs vitrines magiques. Offrir au public de l’exposition universelle quelques tours de magie et un soupçon de poésie fait partie de leur stratégie. Une stratégie qui explique le succès de Levita, un concept dans l’air du temps qui n’a, c’est certain, pas fini de faire parler de lui.

LE RETOUR DE L’AIGLE

A l’heure du bicentenaire de sa mort, Napoléon Bonaparte est plus vivant que jamais. A Liège, une copieuse exposition enrichie de reconstitutions et d’objets authentiques retrace et remet en contexte son règne. Jusqu’au 9 janvier 2022.


Comment raconter, comment montrer Napoléon, cette “rock star de l’histoire” comme le qualifie Bruno Ledoux, le collectionneur qui a prêté bon nombre de pièces de l’exposition Au-delà du mythe, montée par Europa Expo à la gare de Liège-Guillemins ? Homme de vision et d’ambition, il a émaillé son règne de faits d’armes et de décisions politiques, parfois autoritaires. Tous ces éléments sont présents dans cette exposition-événement qui marque le bicentenaire de la disparition d’un homme politique et d’un militaire qui a su se faire admirer autant que détester. Trois-cent-cinquante pièces authentiques, dont certaines n’avaient jamais été montrées, racontent cette destinée exceptionnelle sur près de 3.000 m2.

© Collection Bruno ledoux

Longwood House

Le règne de Napoléon a été assez court, mais son impact sur l’Europe a été énorme. Si sa vie s’est achevée à Sainte-Hélène, c’est aussi là que le mythe a pris de l’ampleur, nourri par les mémoires auxquelles il a consacré une bonne partie de ses dernières années. L’exposition commence sans fanfare sur ce petit bout de rocher perdu au milieu de l’Atlantique Sud. Les premiers objets s’y déploient pour évoquer le séjour du monarque déchu à Longwood House, une résidence posée sur un plateau humide et venteux où il vécut dans un relatif confort avec sa suite. Aux représentations hagiographiques de l’empereur dictant ses mémoires répondent les caricatures d’un homme ventripotent croquées par un de ses geôliers anglais.

Enfant de la Révolution

Napoléon Bonaparte n’avait pas 20 ans quand éclate la Révolution et son accession au pouvoir est une conséquence directe du nouveau régime instauré à partir de 1789 et auquel se consacre la suite de l’exposition. Une lame de guillotine, qui devait peser entre trente et soixante kilos, éclabousse de son tranchant cette section où l’on trouve également la chemise que portait Louis XVI le jour où il a été conduit à l’échafaud, une impressionnante clé de la prison du Temple, ou encore un bonnet phrygien et une carmagnole (qui n’était pas qu’une danse puisqu’elle désignait aussi une veste à basques courtes et gros boutons adoptée par les sans-culotte).

La famille Buonaparte, ses frères, ses sœurs, leurs femmes et enfants, ont aidé Napoléon à conserver le contrôle des territoires conquis par les armes. Il a fait de ses frères et beaux-frères des rois qu’il a positionnés sur la carte de l’Europe comme les jetons d’un Stratego. La ligne du temps agrémentée d’un profil généalogique nous permet de savoir qui est qui dans cette famille aux innombrables alliances.

Le visiteur plonge dans une de ces reconstitutions immersives dont Europa Expo a le secret.


Une machine de guerre

Poursuivant le parcours, on plonge dans une de ces reconstitutions immersives dont Europa Expo a le secret. C’est le bivouac de l’armée. On traverse une cour de ferme pavée, il y a des soldats qui réchauffent leur rata, Bonaparte et ses conseillers qui planchent sur les mouvements de troupe à venir, les chevaux mis en repos, le mamelouk qui prend l'air et quelques chiens errants à l’affut de victuailles. L’armée napoléonienne, qui a compté jusqu’à 600.000 hommes, était une véritable machine de guerre. Seuls les officiers disposaient d’un cheval, les soldats se contentaient d’avancer un pied devant l’autre. Devant les villageois partagés entre l’effroi et l’admiration, la troupe pouvait défiler pendant plusieurs heures. De nombreuses pièces d’équipement et d’armement restituent cette armée en marche. D’un côté, on a le havresac du soldat, un bon vingt-cinq kilos, de l’autre, le matériel de campagne de l’empereur avec lit pliant, nécessaire de toilette, bibliothèque portative, longe vue et cartes. Entre 1792 et 1815, Napoléon a porté le sabre et le canon à travers l’Europe au cours de sept campagnes jusqu’à la défaite de Waterloo. On en voit des armes et des uniformes, dont notamment ceux des Gardes wallonnes qui ont affronté les troupes napoléoniennes lors de la bataille de Burgos, en 1808.

Maître de la France à 30 ans, Napoléon se fait couronner empereur quatre ans plus tard. Le sacre qui déroule ses fastes sous la voûte de Notre-Dame est une opération de communication et propagande à usage interne et vis-à vis des cours étrangères. C’est le moment d’évoquer les apparats de l’Empire avec la vaisselle, le mobilier et la garde-robe, avec un savant mélange de pièces d’époque et de reconstitution. Beaucoup voient dans le code Civil et toutes les institutions publiques qu’il a mises en place, la quintessence de l’héritage napoléonien. Une section lui est consacrée dans un décor néo classique qui évoque l'Antiquité sublimée de ses héros Jules César et Alexandre le Grand.

© Collection Bruno Ledoux

Entre 1792 et 1815, Napoléon a porté le sabre et le canon à travers l’Europe au cours de sept campagnes jusqu’à la défaite de Waterloo.


Deux légions d’honneur “liégeoises”

Napoléon est venu deux fois à Liège d’où les troupes françaises avaient chassé les autrichiens en 1794. De retour de sa première visite, il demande à un jeune lauréat du Prix de Rome, Jean-Auguste-Dominique Ingres, de le peindre en habit de consul avec en arrière fond, la Cathédrale Saint-Lambert qui était alors en ruine. On évoquera aussi les deux légions d’honneur “liégeoises”. La première accordée à André Modeste Gretry, musicien très apprécié de Napoléon et par ailleurs invité d’honneur au sacre. La seconde, et c’est moins connu, a été attribuée à Hubert Goffin, un modeste ouvrier mineur qui, avec son fils de 12 ans, a sauvé la vie de 70 travailleurs piégés par une inondation.

Une baignoire en campagne

Une des pièces marquantes de la section est sans conteste la baignoire en zinc offert par Jean-Jacques Dony à Napoléon. Chanoine et chimiste, le fondateur de l’entreprise La Vieille Montagne déposa le brevet pour un procédé de production du zinc. Il offrit cette baignoire à l’empereur pour démontrer les qualités hydrofuges et la malléabilité de son nouvel alliage. Convaincu, l’empereur en aurait emportée un exemplaire identique avec lui lors de la campagne de Russie.

C’est avec des agrandissements de dessins du dernier voyage de la Belle Poule, une frégate de soixante canons qui ramena les cendres de Napoléon en France en 1840, que s’achève l’exposition.

Au final, chaque visiteur y trouvera sans doute le Napoléon qu’il est venu chercher. Si Bonaparte a très tôt veillé à contrôler son image et a compris son potentiel de propagande, l’exposition y ajoute aussi de nombreux objets qui permettent de replacer le personnage et ses agissements dans son contexte historique.

De Waterloo à Sainte-Hélène


Tableau de Maurice Dubois, où l’on voit, au couchant, une fillette fleurir l’Aigle blessé, le monument en hommage à la garde impériale.

En cette année de célébration du bicentenaire de la mort de Napoléon Bonaparte, le Mémorial 1815, à Waterloo, est évidemment un lieu incontournable. Une grande exposition inédite y est proposée jusqu’au 17 octobre. Intitulée De Waterloo à Sainte-Hélène, la naissance de la légende, elle s’intéresse à la période cruciale qui s’écoule entre la défaite à Waterloo en 1815 et le décès de Napoléon à Sainte-Hélène en 1821. Six années qui vont participer à la naissance de la légende napoléonienne. Exilé et désarmé, l’empereur a continué le combat avec la parole et la plume livrant sa vérité telle qu’elle apparaît dans le célèbre Mémorial de Sainte-Hélène.

L’exposition qui rassemble une centaine d’objets originaux et des documents d’époque provenant de musées et de collections privées déroule un parcours qui s’articule en quatre thématiques.

La première section évoque la période qui sépare le retour du vaincu à Paris et le départ vers sa destination finale. Une des pièces maîtresses est la grande toile de Paul Delaroche, plus exactement une copie d’atelier, où Napoleon, botté et avachi sur une chaise, semble accablé par son destin, quelques jours avant son abdication à Fontainebleau, en 1814.

Ensuite, on évoque l’exil à Sainte-Hélène. On peut découvrir l’île montagneuse telle qu’elle est apparue aux passagers du HMS Northumberland, sur une gravure réalisée par un officier de bord britannique. Il y a aussi cette baignoire en cuivre où il restait nonante minutes le matin, ainsi qu’un verre de malade avec lequel il soignait l’ulcère d’estomac qui va l’emporter.

Le masque mortuaire en bronze de Napoléon réalisé par son médecin Antommarchi.

Entre la défaite à Waterloo en 1815 et le décès de Napoléon à Sainte-Hélène en 1821, six années vont participer à la naissance de la légende napoléonienne.


La construction du mythe

Le troisième espace est consacré à la construction littéraire du mythe, notamment nourri de ses mémoires dictées à ses compagnons d’exil. On peut ainsi voir différents ouvrages originaux issus de la bibliothèque de Sainte-Hélène prêtés par le Musée de Châteauroux.

La dernière section s’attarde sur le temps du héros quand, après sa mort, Napoléon est élevé au statut de figure mythique. Les objets de cette section sont de ceux qui perpétuent la gloire de Napoléon, empereur et martyr. On peut voir notamment le masque mortuaire en bronze réalisé par son médecin Antommarchi ou le fameux tableau de Maurice Dubois, où l’on voit, au couchant, une fillette fleurir l’Aigle blessé, le monument en hommage à la garde impériale. La légende a pris son envol…

PROFESSION : CONCEPTRICE DE LUMIÈRE

Spécialiste de l’éclairage, urbaniste du jour et de la nuit, le bureau liégeois Radiance 35 pose sur les villes un regard à la fois technique et artistique. Rencontre avec Isabelle Corten, architecte et urbaniste, fondatrice et directrice. Lumineuse, naturellement.

 

Mise en lumière du tunnel de la Porte de Hal à Bruxelles (2019)
Le concept est une mise en valeur des séquences graphiques implantées le long du tunnel. Deux « strates » composent la mise en lumière : le « fond » avec un éclairage dans une tonalité cyan pour illuminer le graphisme et faire ressortir les séquences artistiques, et les « accents » représentés par des coups de projecteurs bleu et magenta pour donner vie aux dessins et au tunnel.

«Comme la plupart de mes collègues, je suis arrivée à ma spécialisation un peu par hasard, en travaillant dans un bureau d’architecture bruxellois qui comptait une section urbanisme. Mon premier plan lumière, j’ai eu la chance de le créer avec un maître en la matière : Roger Narboni, de l’agence française Concepto. Ce premier essai m’a profondément intéressée », se souvient Isabelle Corten.

Lorsqu’elle fonde sa propre agence, en 2001, l’architecte réfléchit encore l’espace public diurne et nocturne. Mais quand le bureau « Isabelle Corten urbaniste lumière » devient Radiance 35, en 2010, les projets concernent de plus en plus la nuit. « Un écosystème qui m’intéresse et me passionne, au même titre que la ville, dont j’aime la dimension plurielle. La nuit a beaucoup de significations, presque symboliques : l’interdit, la peur, l’émerveillement, la découverte des étoiles, la faune aussi… Dans les villes, la question qui revient le plus souvent est pourtant celle d’un sentiment d’insécurité. Les réponses sont complexes et la lumière n’est pas la seule. Mais nous nous efforçons d’en apporter une, d’écouter, de dialoguer, de rassurer et de répondre aux craintes d’une manière ou d’une autre. »

Un rôle économique, écologique et social

Réfléchir à la nuit, c’est aussi s’efforcer de la préserver. « Ce postulat guide également notre réflexion. Nous avons une responsabilité par rapport au monde futur et il ne s’agit plus, en 2021, de l’évacuer d’un revers de la main », estime Isabelle Corten. « Le développement durable repose sur trois piliers : l’économie, l’écologie et la vie sociale. Si le premier est encore très présent, nous devons être conscients de la balance entre les deux derniers, en fonction des lieux et des moments de la nuit. Ainsi, dans un espace public où il y a peu d’éléments à mettre en lumière, mais où il est important pour la cohésion sociale de pouvoir s’orienter, on pourra choisir d’illuminer un arbre, par exemple. Mais, par ailleurs, nous avons fait le choix de ne pas éclairer une partie du fort de Huy, parce qu’une colonie de chauves-souris y loge. »

Qui fréquente les lieux et comment sont-ils perçus ? Qui bouge et à quel moment ? Quels sont les couloirs écologiques et les espaces de biodiversité ? Autant d’informations recueillies lors de marches participatives et d’analyses d’éclairage. « C’est un schéma perpétuel qui nourrit notre réflexion et la construit. Depuis quatre ou cinq ans, à l’issue d’échanges avec les divisions nature et forêt, nous avons intégré la notion de couloirs écologiques et de trame noire. Notre travail repose sur un délicat équilibre entre économie, écologie et vie sociale. Il faut être conscients de nos choix et créer de l’harmonie.»

Balisage lumineux intelligent pour les piétons de la Citadelle de Namur.
La mise en lumière tient compte de son intégration dans un site naturel par une gestion intelligente : intensités dégressives vers les zones boisées, utilisation de tonalités ambres là où la présence de chauves-souris est plus importante, allumage 45 minutes après le coucher du soleil et extinctions partielles jusqu’au noir complet, avec priorité sur les zones sensibles.
Maitre d’ouvrage : Ville de Namur

Vivre la ville, la nuit

Mais, justement : comment vit une ville, la nuit ? « Il y a tant de choses qui font qu’une ville continue à vivre après le coucher du soleil ! Des activités économiques et culturelles, notamment, que nous nous efforçons d’accompagner du mieux que nous pouvons. Il s’agit de créer un environnement confortable pour tous, que chacun puisse garder ses repères. Nous accentuons la visibilité de certaines choses, la diminuons pour d’autres, de sorte que les personnes qui circulent en ville bénéficient d’un parcours identifiable, avec une carte mentale efficace de leur territoire. Il suffit parfois de toutes petites choses et de petits budgets pour que les gens se sentent mieux. Après, si nous pouvons apporter du beau et de l’émerveillement dans ce parcours, c’est encore mieux », sourit l’architecte.

Du beau et de l’émerveillement, Isabelle Corten et l’agence Radiance 35 en ont essaimé. De la Grand-Place de Bruxelles à la Suisse, en passant par le tunnel de la Porte de Hal, les Grottes de Goyet ou la Cité ardente, l’équipe multiplie les projets et les thématiques avec un enthousiasme toujours renouvelé. « On nous demande naturellement d’éclairer des églises et des hôtels de ville, et puis un tas d’autres missions absolument fascinantes, chacune nécessitant une analyse complète pour recevoir la réponse la plus juste. Chaque expérience nourrit les suivantes. Il y a tant d’espaces auxquels réfléchir, ajouter de la lumière ou en retirer ! »

« Savoir ce qui est juste, et pour qui. » Voilà le mantra d’Isabelle Corten. « Réfléchir au confort de l’être humain en balance avec celui des autres usagers de la planète, c’est aussi établir un axe de préservation, à notre petite échelle. Il n’y a pas de contradiction : de plus en plus d’utilisateurs demandent à être acteurs de la protection de l’environnement. Pour ne pas polluer du tout, il faudrait ne pas éclairer. Ce n’est pas possible partout et tout le temps, mais on constate l’émergence de solutions, de plus en plus nombreuses, qui permettent par exemple d’éteindre totalement les lumières à certains moments de la nuit et, ainsi, de passer le relais à d’autres usagers. »


Mise en lumière des Grottes de Goyet, à Gesves (2013-2020).
Des thèmes (clair-obscur, trompe-l’œil, traces, palettes naturelles…) ont été choisis de façon sensible pour accompagner au mieux la diversité et la richesse d’ambiances présentes tout au long du parcours, de façon pédagogique et ludique, mais également sobre et respectueuse de l’environnement naturel.
Maitre d’ouvrage : commune de Gesves.

Rêves et projets

« Le dernier projet à m’avoir marquée, en matière de réalisation, est celui des Grottes de Goyet. Non seulement c’était un challenge car nous n’avions jamais éclairé de grottes, mais il aborde les trois piliers : écologique par le respect de la faune, économique car le budget était assez restreint, et social parce qu’il permet de revaloriser le patrimoine wallon pour un public diversifié et familial. Et puis, il emporte sa part de mystère,
dans ses failles et anfractuosités… »

Et Isabelle de porter un regard vers l’avenir.
« En cette année où je vais fêter les 20 ans de la création de mon propre bureau, je rêve de remporter le projet de la gare d’Anvers. Il aborde également les trois piliers : écologique par un éclairage mesuré dans des températures de couleurs chaudes, économique parce que nous l’avons conçu avec un budget vraiment serré, et social parce qu’il permettrait à tous les voyageurs et les habitants de se sentir bien en arrivant là. Il s’agit ici d’une valorisation du patrimoine remarquable flamand de portée internationale.
Un peu le pendant de la Grand-Place de Bruxelles, projet que nous avons débuté il y a presque quinze ans ! »

«Il n’y a pas de lumière sans ombre »
Cette phrase d’Aragon, Isabelle Corten l’a faite sienne, en tant que membre de « Concepteurs lumière sans frontières », une association humanitaire qui donne la priorité à des solutions durables. « En Haïti, nous travaillons depuis dix ans à faire en sorte que le savoir perdure. Parce que pour ceux qui connaissent les privations quotidiennes ou les catastrophes naturelles, pour ceux qui vivent au cœur des ténèbres, l’éclairage est nécessaire ! »
Cette transmission, elle y œuvrera également, dès la rentrée académique de 2021, dans les amphithéâtres de la Faculté d’Architecture La Cambre Horta (ULB). « Le manque de formation à la conception de lumière est un sujet dont je discute depuis des années avec le doyen. Nous vivons la moitié de l’année dans l’obscurité et la Belgique ne compte que trois à quatre bureaux spécialisés, alors que le travail est énorme ! Plutôt que de poser juste une cerise sur le gâteau dans un cahier des charges, nous voulons offrir une vraie réflexion et une spécialisation solide. »
Le Certificat d’Executive Master en Génie Lumière s’obtiendra donc au bout de deux années d’études, sous la houlette d’Isabelle Corten et Georges Berne, mais également d’Elettra Bordonaro, d’Emmanuel Mélac, de Bénédicte Collard et d’Agnès Bovet-Pavy. Comme expliqué sur le site de la faculté : « Il vise à former des professionnels capables de suivre le processus de production d’éclairage dans des lieux intérieurs ou extérieurs, des environnements urbains et paysagers. Il s’attache particulièrement aux méthodes en tenant compte de l’innovation dans divers domaines également connexes à l’éclairagisme».

 


Plan lumière de la ville de Carouge, en Suisse (2014 - 2017)
Le plan lumière accompagne et recompose le territoire nocturne en mettant en valeur ses particularités. L’humain est au centre du projet, la lumière accompagne l’usager devant les écoles, le long des places, dans les passages couverts, au-travers de la ville… grâce à des interventions spécifiques.
Maitre d’ouvrage : Ville de Carouge.

À L’ASSAUT DU GLAUCOME

Installée sur le site du CHU de Liège, EyeD Pharma conçoit des implants intraoculaires pour traiter le glaucome, deuxième cause de cécité dans le monde. En cours d’étude préclinique, ils pourraient être mis sur les marchés européen et américain d’ici 2028.

 


Mélanie Mestdagt

Fondée en 2012 par Jean-Marie Rakic, à la tête du département d’ophtalmologie du CHU de Liège, et Jean-Michel Foidart, cofondateur de Mithra, EyeD Pharma a été créée pour répondre à un besoin de traitement continu pour les patients du glaucome, une maladie irréversible qui provoque une diminution du champ de vision pouvant mener à la cécité si elle n’est pas soignée à temps. « Le glaucome est généralement causé par l’élévation de la pression à l’intérieur de l’œil, introduit Mélanie Mestdagt, docteur en sciences biomédicales et CEO depuis octobre 2013. Aujourd’hui, il est souvent soigné par des gouttes oculaires à prendre à vie. L’implant que nous développons devrait permettre de libérer une quantité constante de médicaments dans l’œil, et ce tous les jours, pendant trois ans. Cela signifie que le patient gagnera en sérénité et qu’il sera moins confronté à sa maladie. L’administration de son traitement sera garantie et lui évitera les effets secondaires, dont l’irritation de l’œil et la dégradation de la vision. Quant à la pause de l’implant, elle sera non invasive et ne nécessitera qu’une incision de deux millimètres. L’intervention devrait durer environ quinze minutes et se faire en hôpital de jour. »

Depuis sa création, la PME pharmaceutique travaille étroitement avec le secteur médical pour ajuster en permanence le développement de ses prototypes. « Tous nos produits ont pour objectif d’améliorer le confort de vie des patients. Ils sont très longs à développer. Leur cycle de création s’étale sur 10 à 12 ans. Nous devons nous assurer qu’ils répondent toujours au mieux aux besoins des malades. Nous sommes en interaction permanente avec des ophtalmologues belges, mais aussi situés à l’étranger. »

« Nous nous adressons à de très petits endroits du corps humain. Notre technologie pourrait intéresser d’autres pathologies. »

 


Excellence scientifique

Grâce à plusieurs levées de fonds, l’équipe d’EyeD Pharma a pu se développer et s’adjoindre différentes compétences essentielles à la croissance de l’entreprise. « Nous étions quatre à mon arrivée. Le point d’inflexion a eu lieu en 2017. Nous formons aujourd’hui une équipe de soixante-cinq personnes et vingt collaborateurs sont en cours de recrutement. Toute l’expertise essentielle est là, poursuit la CEO. Dans nos métiers, certains profils sont rares et difficiles à trouver. C’est un secteur qui souffre d’une pénurie de talents, même si des choses se mettent en place pour y faire face, notamment au sein du Forem. »

Parmi les challenges managériaux, l’entretien d’un esprit d’équipe et d’une culture d’entreprise axée sur l’échange et le partage d’informations. « Pour répondre à nos objectifs ambitieux, nous devons former un groupe et être unis. Nous sommes dans le même bateau. On doit ne pas forcément être d’accord, mais tout doit se faire dans la bienveillance et le
res
pect de l’autre. Il faut faire vivre ces valeurs, ce sentiment d’appartenance et cette cohésion au quotidien. »

Depuis 2018, EyeD Pharma a mis au point une activité commerciale de distribution de matériel de chirurgie ophtalmologique afin de s’assurer d’autres rentrées financières. En 2019, une nouvelle augmentation de capital a permis à l’entreprise de récolter vingt-huit millions d’euros afin d’accélérer le développement technologique de son implant. Innovant de par la technique d’administration du traitement, celui-ci pourrait, plus tard, permettre des applications dans le cas d’autres maladies oculaires. « Nous devons d’abord nous assurer que nos produits peuvent être reproductibles. Le glaucome touche une trentaine de millions de personnes dans le monde chaque année. Le potentiel est très important. »

Une usine de 6.500m2

Autre tournant dans son histoire, la biotech liégeoise travaille depuis plusieurs mois sur la conception d’une usine flambant neuve de 6.500 mètres carrés qui sera bâtie dans la ruche technologique du Sart-Tilman. En cours de chantier jusqu’en novembre 2021, cette usine permettra une production à grande échelle. Elle sera partagée avec UniD manufacturing, société sœur dotée du même actionnariat et destinée à produire des micro-implants pour d’autres usages. « L’ensemble de nos services, de la production aux RH en passant par la R&D, sera rassemblé au même endroit. C’est un réel avantage pour l’esprit d’équipe, mais aussi pour doper l’innovation qui est au cœur de nos métiers, explique Mélanie Mestdagt. Dans le secteur pharmaceutique, bien souvent, les équipes de production ne croisent jamais les autres. Nous souhaitons renverser ce constat et casser les codes. »

Ainsi, la direction d’EyeD Pharma a souhaité l’usine à la pointe au niveau technologique et répondant au cahier de charge très strict du secteur pharmaceutique, mais aussi comme un lieu convivial propice aux interactions. « Le bâtiment est conçu de telle manière que les collaborateurs seront obligés d’interagir. Tout le monde, directeurs, ouvriers ou collaborateurs administratifs, devra se croiser dans le patio central. Devant une machine à café, on apprend beaucoup de choses. Ce temps de partage est aussi utile aux projets. Mieux on se connaît, mieux on travaille ensemble. Cette vision s’incarne jusque dans les briques. »

2021, une année décisive

Conçue avec l’aide du bureau d’ingénierie Coceptio basé à Mons, la nouvelle usine, dont le budget de construction s’élève à trente millions d’euros, sera aussi un centre de production pour d’autres acteurs biomédicaux. « L’idée sera à terme de rentabiliser le know-how acquis. Nous nous adressons à de très petits endroits du corps humain. Notre technologie pourrait intéresser d’autres applications et pathologies, notamment dans le domaine ORL, dans l’oncologie ou les maladies mentales. La prise de médicament totale convient notamment parfaitement à des personnes âgées ou des patients en souffrance mentale. »

En novembre prochain, une étape décisive sera effectuée avec l’introduction des premiers implants chez l’homme. La préparation réglementaire, documentaire et médicale sera intensive. Les prochains mois seront complexes pour toutes les équipes. « 2021 sera en effet une année décisive et charnière pour EyeD Pharma, conclut Mélanie Mestdagt. J’ai pour ma part hâte de retrouver davantage de contact humain post Covid-19. La crise sanitaire a compliqué notre activité de distribution de matériel. En revanche, l’implication des équipes et leur solidarité ont été formidables. Chacun a donné tout ce qu’il pouvait. A ce niveau là, le bilan de l’année est très positif. »

« L’ensemble de nos services, de la production aux RH en passant par la R&D, sera rassemblé au même endroit. C’est un réel avantage pour l’esprit d’équipe, mais aussi pour doper l’innovation qui est au cœur de nos métiers. »


www.eyedpharma.com

 

DES TECHNOLOGIES DE POINTE

En mai 2020, Novadip, spin-off de l’UCLouvain, réussissait la transplantation d’un tibia en 3D sur un patient de 5 ans, une première mondiale retentissante. D’autres biotechs de la région active dans le domaine des greffes, à l’instar de Cerhum ou Texere Biotech, illustrent tout le dynamisme wallon du secteur des sciences de la vie.

 
Née dans les couloirs des Cliniques universitaires Saint Luc, Novadip a connu un important développement il y a quelques mois : la greffe réussie d’un implant tissulaire de 18 cm³ dans la jambe d’un jeune patient. Spin-off de l’UCLouvain et pensée par le médecin Denis Dufrane, l’entreprise a été soutenue à sa création par la Sopartec, la société de transfert de technologies et d’investissement de l’UCLouvain. « En ayant permis d’éviter des amputations à de jeunes patients, Novadip a un vrai impact sociétal, note Philippe Durieux, CEO de la Sopartec, qui a facilité la création de près de 80 spin-off à ce jour. C’est la seule qui réalise un transfert de cellules différenciantes issues du patient lui-même. » La spin-off espère un lancement commercial d’ici 2026.

Boom des biosciences

Egalement lancée par le médecin et serial entrepreneur Denis Dufrane, Texere Biotech, s’est spécialisée dans la robotisation du traitement des tissus humains. Elle a ainsi créé la première ligne robotisée au monde pouvant recycler des greffons osseux. Fondée par le médecin Grégory Nolens, Cerhum, révolutionne, quant à elle, la chirurgie réparatrice en reconstituant de l’os en céramique grâce à l’impression 3D. Ces deux jeunes pépites ont bénéficié à différents stades de coups de pouce de la Région wallonne. « Dans chaque secteur, l’enjeu est de créer un écosystème qui crée de l’emploi et réinjecte de la valeur dans l’économie, ajoute Philippe Durieux. Dans le cas des biotechs, il y a un terreau fertile avec des fonds d’investissements dédiés et du personnel bien formé. Les talents sont une des briques essentielles. »


Philippe Durieux, le CEO de la Sopartec

Du laboratoire au marché

Partant d’une découverte scientifique qui nécessite la création d’une société dédiée pour poursuivre encore davantage la recherche, les spin-off ont un impact direct sur leur écosystème. Philippe Durieux : « La création d’un spin off est un processus qui s’étale sur une dizaine d’années voir plus. Le transfert de connaissances part du laboratoire vers le marché qui, en retour, re-challenge les chercheurs. »

A chaque fois, le but est que la recherche académique puisse avoir un impact sociétal direct ou indirect. Parmi les success stories récentes de la Sopartec, iTeos a inventé un nouveau paradigme au niveau oncologique. « Après 8 ans d’existence, elle est entrée au Nasdaq, ce qui est une première belge. C’est aussi l’illustration d’une combinaison réussie entre de la top science et un financement adéquat. Dans le secteur médical, je pense aussi à Axinesis, active dans la rééducation, ou Syndesi Therapeutics qui s’intéresse à la maladie d’Alzheimer… Les bons exemples locaux sont légion. »

www.novadip.com
www.sopartec.com

CERHUM PRODUIT EN 3D DES IMPLANTS OSSEUX SUR MESURE

Lancée en 2015 par Grégory Nolens, docteur en sciences biomédicales, Cerhum a mis au point une technique révolutionnaire de production d’implants osseux biocompatibles en 3D. « Notre entreprise est née d’une demande accrue pour des greffons plus durables, notamment dans le domaine maxillo-facial. La plupart des implants médicaux ont une durée de vie de 15 à 20 ans. Il faut ensuite réopérer. J’étais à la recherche d’une solution moins invasive », introduit Grégory Nolens, fondateur et CEO de l’entreprise.. C’est là qu’intervient MyBone, un implant biocompatible et imprimé en 3D, développé avec l’aide de la société louvaniste 3D Side et un co-financement de la Région Wallonne. L’innovation réside ici dans le choix des matériaux. « Nous avons opté pour la céramique, dont la composition s’approche de celle de l’os humain, principalement constitué de calcaire et de phosphate. Il ne s’agit pas d’une prothèse, mais bien d’un implant qui stimule la régénération osseuse. »

 

« Nous avons opté pour la céramique, dont la composition s’approche de celle de l’os humain, principalement constitué de calcaire et de phosphate. Il ne s’agit pas d’une prothèse, mais bien d’un implant qui stimule la régénération osseuse. »


Cas cliniques validés

Cinq ans après sa création, l’entreprise liégeoise lance ses implants sur le marché et, en mai 2020, elle fait parler d’elle suite à la première greffe mondiale d’un morceau de mâchoire artificiel produit en 3D lors d’une intervention à Saint-Luc. Les chirurgiens ont pour la première fois greffé à une patiente un implant labellisé MyBone. Le greffon artificiel est venu combler l’espace occupé par une tumeur et l’os mandibulaire a pu être reconstitué tel qu’il était avant la maladie.

Depuis lors, d’autres opérations, principalement de la face, ont également été réussies. « Pour le moment, nous avons d’excellents résultats post-cliniques. Les premiers clients repassent commande, ce qui est un signal très positif. Le grand avantage par rapport à d’autres techniques, c’est l’aspect sur mesure de notre approche. L’implant correspond avec précision à la morphologie du patient. De part sa composition, il s’intègre également mieux à l’organisme. »

Les prochaines étapes pour Cerhum seront de boucler une nouvelle levée de fonds, de compléter l’effectif pour parvenir à une équipe de dix personnes en 2021 et d’accélérer l’expansion internationale, avec l’Europe, les Etats-Unis et l’Asie en ligne de mire.

sur une mer de fragilités

Depuis juin, Liège dispose d’un nouveau musée pour exposer les œuvres d’artistes porteurs d’un handicap mental. Situé au cœur du parc d’Avroy, le Trinkhall Museum développe un travail et une approche singuliers initiés par le Créahm il y a plus de 40 ans.

 


© Trinkhall Museum

C’est un bateau pirate qui vogue toutes voiles dehors. Il est fait de morceaux de carton, de bouchons, de bouts de ficelle. Les bouches de canon désarmées laissent voir des dessins. Dans cette arche fantastique, Alain Meert a rassemblé tout ce qu’il aime, les gens, la musique et les arts plastiques.

L’artiste, qui fréquente depuis longtemps les ateliers du Créahm, a travaillé tout au long de l’année 2019 avec son accompagnateur Patrick Marczewski pour répondre à la question Qu’est-ce qu’un musée ? Son musée idéal est une œuvre fragile, insolite, joyeuse, solidaire et ouverte, qui fait fi des frontières et des embruns. A l’image des collections abritées par le Trinkhall Museum dont il salue la mise à flots. Ouvert en juin dernier au cœur du parc Avroy, le nouveau musée se place dans la continuation directe du travail artistique mené par le Créahm avec les personnes atteintes d’un handicap mental. Cette structure – dont l’acronyme correspond à créativité et handicap mental – a été fondée en 1979 par Luc Boulangé, un jeune artiste visionnaire. Porté par un mouvement international de remise en cause de la psychiatrie et du regard sur le handicap mental dans la mouvance de l’après 68, il décide d’ouvrir un atelier de création à des personnes porteuses d’un handicap mental dans une perspective qui n’est plus ni occupationnelle, ni thérapeutique, comme c’était de coutume à cette époque dans les institutions d’hébergement et de soins, mais à vocation exclusivement artistique.

Aujourd’hui, le cœur battant du musée comme sa raison d’être reposent sur sa riche collection de plus de 3.000 dessins, gravures, peintures et sculptures.


Première exposition en 1981

En 1981, à l’occasion de l’Année internationale des personnes handicapées, il s’adresse aux institutions qui, dans d’autres pays, mènent des initiatives analogues à la sienne pour leur demander de lui envoyer des œuvres réalisées en atelier par des artistes porteurs d’un handicap mental. Ebloui par la qualité et la quantité de dessins, peintures et sculptures qu’il reçoit, il décide de monter une exposition pour la mise en place de laquelle il demande à la Ville de Liège de pouvoir occuper le bâtiment du Trinkhall dont elle est propriétaire et qui était abandonné. L’autorisation est accordée, l’exposition rencontre un succès d’estime et après une période chaotique d’occupation forcée, la Ville concède au Créahm un bail emphytéotique dont bénéficie toujours le musée aujourd’hui. « C’est important parce que cela signifie qu’entre le Créahm, le musée et la Ville les relations sont fortes. Notre musée est un service public qui reflète une politique de la ville soucieuse d’instituer la culture en tant qu’opérateur d’émancipation », pointe Carl Havelange, le directeur artistique du musée.


Carl Havelange, le directeur artistique du musée

Plus de 3.000 œuvres venues de Belgique et d’ailleurs

Après avoir brièvement hébergé les ateliers, le Trinkhall devient un centre d’art différencié qui prend le nom de MADmusée en 1982. En 2008, comme l’état et la disposition des lieux ne permettaient plus à l’équipe du musée de développer ses activités, la Ville lance un concours d’architecture pour un nouveau musée. Douze années de péripéties ont été nécessaires pour la réalisation du projet. Aujourd’hui, le cœur battant du musée comme sa raison d’être reposent sur sa riche collection de plus de 3.000 dessins, gravures, peintures et sculptures qui proviennent des ateliers du Créahm, mais aussi d’autres ateliers pour personnes handicapées, en Belgique ou ailleurs dans le monde.

Face à la richesse et à la diversité de la collection hébergée par le musée, il apparaît qu’il n’y a pas de définition unifiée possible, ni d’esthétique propre au handicap mental. « La première chose dont le visiteur peut se convaincre en visitant nos expositions, c’est de l’extrême qualité des œuvres. Il ne s’agit plus de les considérer avec le regard un peu compassionnel qui sous-entend que même l’handicapé peut faire de l’art. Le seul point de ralliement que je vois entre tous les artistes que nous hébergeons dans la collection est celui de la fragilité, dans la mesure où la plupart d’entre eux ont traversé de nombreuses difficultés, psychiques ou mentales, liées au handicap. Mais comme nous sommes avant tout devant des artistes, c’est une fragilité qui n’est pas signe de faiblesse, mais plutôt de puissance expressive. »

 
© Michel Petiniot (à gauche)  et 
© Pascal Duquenne (à droite)

Un tremplin pour le monde de l’art

Chaque saison, le Trinkhall explorera une thématique particulière qui mobilise des œuvres de la collection et celles de quelques artistes contemporains invités. Comme il ne s’agit pas de comparer les uns avec les autres, mais de ressentir des émotions et les affinités électives qui peuvent se dégager entre les œuvres, aucun cartel ne permet de les identifier. Pour plus d’information, il suffit de se référer au très complet guide du visiteur. Le système de cimaises mobiles permet de modifier l’espace et de créer de nouveaux angles de promenades en fonction de l’accrochage.

La première thématique mise en place jusqu’en septembre 2021 est Visages / Frontières. Plus de 80 œuvres qui explorent les vertiges de l’identité dans des visages qui se métamorphosent, se dédoublent, s’effacent et nous interrogent. Au rez de chaussée, une salle monographique met à l’honneur le travail d’un artiste d’atelier qui ne bénéficie pas encore de toute la notoriété qu’il mérite. C’est en quelque sorte un tremplin pour le monde de l’art. Le premier artiste invité dans cette salle est Jean-Michel Wuilbeaux, issu de La Pommeraie, un atelier situé à Ellignies-Sainte-Anne (Beloeil). C’est une œuvre gourmande de lignes, de couleurs et des mots, directement inspirée de son enfance dans un milieu ouvrier à la frontière entre la Belgique et la France. Plus qu’un musée, le Trinkhall veut devenir un lieu de recherche, de rencontres et d’échanges qui développe aussi d’autres activités en partenariat avec différents opérateurs. Ainsi, une transcription des textes de Jean-Michel Wuilbeaux est en cours et elle fera l’objet d’un spectacle où les mots de l’artiste seront dits par un comédien et accompagnés d’une musique live jouée notamment par Steve Houben.
Le Trinkhall a largué les amarres, porté par sa formidable cargaison artistique et il invite le public à monter à bord pour ses voyages de découvertes et d’échanges.

Un Trinkhalle dans les stations thermales en Allemagne

A l’origine, le Trinkhalle était le point de rendez-vous des stations thermales en Allemagne où les curistes se retrouvaient pour siroter de l’eau de source ou acheter des boissons. A Liège, lors de la création du parc d’Avroy en 1880, on installa en son cœur un lieu de réjouissances et de rencontres comprenant un café et une salle de billard qu’on baptisa Trink-Hall. C’était un bâtiment en verre et en acier de style mauresque surmonté de deux coupoles cuivrées. En 1885, il aurait notamment accueilli les premières projections cinématographiques dans la Cité ardente. Un incendie et deux guerres mondiales auront cependant raison de la construction qui avait perdu tout son lustre et dont les volutes architecturales orientalisantes n’intéressaient plus grand monde. Abandonné, il fut détruit et remplacé en 1963 par un bâtiment d’allure moderniste en béton et en pierre, un établissement de standing où s’organisaient mariages, soirées dansantes et réunions d’affaires. Le café du rez-de-chaussée et les terrasses librement accessibles aux promeneurs en faisaient toujours un lieu de rencontres et de sociabilité. A son tour miné par l’insalubrité puis voué à l’abandon, ce Trinkhall moderniste finit par croiser l’histoire du Créahm. Aujourd’hui, l’ancien bâtiment des années 60 a été mis sous cloche dans une structure imaginée par les architectes Aloys Beguin et Brigitte Massart et qui offre 600 m2 de surfaces d’exposition.

 

Trinkhall Museum
Parc d’Avroy
B-4000 Liège

www.trinkhall.museum

 

LE SAC SELON RACHEL CORNET

Elle aurait pu devenir styliste ou se détourner d’un métier qui laisse peu de place à la vie de famille et à la vie tout court. Sauf que Rachel Cornet semble plutôt douée pour le bonheur. En 2015, elle a lancé Kokko, une marque de sacs en cuir qui célèbre le savoir-faire traditionnel, mais aussi une joie de vivre communicative.

 

© Alessandro Volders

Quand vous entrez dans l’atelier de Rachel Cornet, un espace chaleureux, caché dans une rue discrète, un peu à l’écart du centre de la Cité Ardente, vous apercevez d’abord son établi, là où la jeune femme travaille le cuir.Cette table, c’est son frère, menuisier, qui l’a façonnée. Car chez les Cornet, la famille, c’est sacré. En témoigne le soutien dont Rachel bénéficie de la part de son mari, habile communicateur, qui l’épaule au quotidien, notamment dans la création de sa page Instagram. Sur les réseaux sociaux, Kokko affiche d’ailleurs clairement ses ambitions, mais aussi ses valeurs : l’artisanat, évidemment, puisque tous les sacs Kokko sont imaginés et fabriqués par Rachel elle-même, mais aussi l’approche humaine d’un label qui n’a jamais fait de compromis. « Mon métier, je l’ai construit petit à petit. D’abord en me formant à la couture dans le cadre de mon baccalauréat en styliste à HELMo Mode à Liège, puis en me perfectionnant sur le terrain. Ce qui m’importait, c’était de combiner la rigueur et le savoir-faire technique acquis pendant mes études à une approche plus pratique », précise Rachel.


© Alessandro Volders

« Quatre-vingt pour cent de mes sacs sont des pièces uniques que j’imagine et façonne après avoir rencontré la cliente ou échangé de longs messages avec elle par le biais des réseaux sociaux. »


Une formation en Finlande

A aucun moment, depuis sa formation en maroquinerie à Kokkola, en Finlande, là où elle a appris le travail du cuir lors d’un séjour Erasmus de quatre mois, la créatrice n’a cédé à la tentation de grandir trop vite ou de sacrifier ses moments en famille. Consciente de l’importance d’offrir aux femmes un produit façonné avec amour, la créatrice, maman de deux enfants, a toujours privilégié une approche totalement personnalisée du sac féminin. Centrée sur une poignée de modèles, tous baptisés en hommage à cette ville finlandaise, la créatrice offre à ses clientes le plaisir de tout choisir : le format, le cuir, les couleurs ou encore les finitions : longueur des anses, doublure intérieure, ajout de franges, chaînes, rivets, clous… « Il y a 5 ans, le métier d’artisan était peu valorisé. Aujourd’hui, le regard des gens a changé. Notre savoir-faire est reconnu. Je suis donc encore plus fière de ce que j’ai accompli. Dans ma vie privée, je privilégie le local. Dans le cadre de mon métier aussi. Si, pour le cuir, je ne peux évidemment pas me fournir en Belgique, je tente de faire appel, autant que possible, à des partenaires locaux. Pour ma dernière campagne, plutôt que de miser sur des mannequins professionnels, j’ai invité des amies entrepreneuses à poser avec mes sacs. L’occasion de les soutenir et de créer de jolies synergies entre femmes ».

Première collection au printemps

En mai dernier, juste après le confinement, comme pour célébrer la vie et sa passion du métier, Rachel a lancé sa première collection, complément évident de son service de sur-mesure. Si les clientes qui choisissent de s’offrir un accessoire entièrement personnalisé doivent patienter environ deux mois avant de pouvoir tenir leur précieux sac en main, celles qui misent sur les modèles proposés sur l’e-shop de la marque ont le plaisir d’en disposer tout de suite.

« Quatre-vingt pour cent de mes sacs sont des pièces uniques que j’imagine et façonne après avoir rencontré la cliente ou échangé de longs messages avec elle par le biais des réseaux sociaux. Généralement, elles sont parfaitement conscientes du temps qu’il faut pour imaginer et produire un tel accessoire : environ dix heures pour la fabrication, par exemple. Ce qu’elles recherchent, c’est un sac utilitaire avec une touche de fantaisie. Mon bestseller ? Le Mattoa, un modèle dont on peut facilement personnaliser les soufflets et qui, même lorsqu’on choisit des couleurs vives, reste classique », précise Rachel. Quant à sa collection propre, elle n’est pas née d’une envie de voir le label grandir exagérément. « C’est plutôt l’occasion, pour les femmes qui ont du mal à faire un choix face aux nombreuses possibilités qu’offre le sur-mesure, de trouver la combinaison qui va leur plaire » , ajoute-t-elle.


Sac Mattoa
© Alessandro Volders

Une réponse à la fast-fashion

Parmi les premiers modèles lancés cet automne, on peut notamment épingler Anola, un sac banane dont le côté pratique lui a été inspiré par sa vie de designer et de maman, mais aussi Halila, un cabas à franges aussi fonctionnel que ludique, et Parola, une pochette à porter au cou. Avec cette collection, l’artisane imprime plus que jamais son style : celui d’une marque qui privilégie les pièces uniques ou les toutes petites séries, mais aussi une approche éthique et durable. A une époque où de plus en plus de femmes se détournent de la mode jetable pour retrouver le plaisir de s’offrir des accessoires réalisés dans de belles matières, la marque de Rachel Cornet se révèle comme la plus belle des réponses à la fast-fashion. Une réponse qui, si elle s’apparente aujourd’hui à un petit business rentable, n’a pas la folie des grandeurs et qui, surtout, se passe de longs discours. Comme le sourire de Rachel.

 

Soppi, proche des femmes




Ce sac à dos, l’un des modèles phare de Rachel Cornet, est, comme tous les autres, ancré dans son quotidien de femme et de maman. Créé peu après le lancement de la marque comme sac de tennis, il a ensuite été retravaillé une première fois en vue d’un long périple en Australie. Lorsqu’elle est devenue maman, en plus du rabat et de la maxi-poche sur le devant, elle a imaginé une variante sous la forme d’un sac de maternité cool et pratique muni d’une grande tirette qu’on peut facilement attacher à une poussette. Aujourd’hui, Soppi l’accompagne partout, y compris pour transporter son ordinateur portable. Cet accessoire fun et pratique résume parfaitement les valeurs d’une marque proche des préoccupations des femmes.


kokkobags.com

À TOUT PRIX

Lauréats, en 2020, du prix presse décerné par Wallonie-Bruxelles Design Mode, Jérémy Perpète et Sarah Van Overstraeten, diplômés respectivement d’HELMo mode et de l’IFAPME, incarnent plusieurs visages d’un secteur en plein bouleversement. Portrait d’une double promotion pleine de promesses.


Fidèle à sa vocation première – celle de soutenir les talents dans les secteurs de la mode et du design actifs en Wallonie et à Bruxelles –, Wallonie-Bruxelles Design Mode s’est penchée sur les collections de fin d’année de la promotion 2020 des deux écoles de mode de la Cité Ardente : HELMo Mode, une école qui propose un bachelier en textile fortement centré sur le savoir-faire technique de ses étudiants, et IFAPME Château Massart, une formation programmée en horaire décalé à l’approche résolument artistique. Si les deux lauréats ont livré une collection très identitaire et donc résolument différente, les silhouettes primées tracent les contours d’une mode inclusive célébrant l’artisanat d’art, un travail sur les matières qui passe souvent par une réflexion écologique et des thématiques qui questionnent, entre autres, la notion de féminité et le genre.


Sarah Van Overstraeten

Pour ces deux jeunes designers, biberonnés aux grands enjeux écologiques de notre époque, pas question de « faire une collection de plus ou de trop. » Leurs préoccupations passent par une volonté de récupérer, de recycler et de transformer le vêtement. Cette génération qu’on associe souvent au virtuel accorde en outre une place centrale au concept de collaboration. Une collaboration qui passe, entre autres, par la notion de collectif. En effet, pour leurs collections, Sarah et Jéremy se sont tous deux associés à de jeunes graphistes. De ces dessins sont nés une peinture sur textile, mais aussi des broderies avec, dans les deux cas, une volonté farouche de remettre de l’humanité ainsi que de l’authenticité dans le propos mode.

Les préoccupations de ces deux jeunes designers passent par une volonté de récupérer, de recycler et de transformer le vêtement.

 


Jérémy Perpète

Deux écoles et beaucoup de talents

HELMo Mode et IFAPME. Si ces deux écoles liégeoises ne jouissent pas encore de la renommée que peuvent avoir des académies comme La Cambre et Anvers, elles ont toutes deux formé des stylistes et des créateurs pétris de talent et d’ambition. Le plus connu est sans nul doute Jean-Paul Lespagnard. Diplômé de l’IFAPME Château Massart, ce designer atypique et sans compromis a remporté le prestigieux festival de Hyères en 2008. Depuis, il a multiplié les projets dans le registre du vêtement, mais aussi du costume. Il a ainsi lancé, dans le centre de Bruxelles, la boutique Extra-Ordinaire, qui est l’expression pure et audacieuse de son univers. Et tout récemment, Silversquare lui a confié l’aménagement de son futur espace de co-working du quartier des Guillemins (ouverture prévue en 2022).

Quant à HELMo Mode, elle a formé des professeurs, modélistes, chasseurs de talents pour des agences de mannequins…, mais aussi des profils plus médiatisés comme Timour Desdemoustier, finaliste du festival de Hyères en 2020. Certains ont entamé des carrières en Belgique ou à l’étranger. C’est notamment le cas de Rachel Cornet, qui s’est lancée avec succès dans le secteur de la maroquinerie artisanale (voir p.77), et de Maxime Cordier, chef de produit pour la jeune marque parisienne Marine Serre connue pour son approche avant-gardiste et engagée du vêtement.


Jérémy Perpète et les métiers d’art

Avec sa collection Too Much is Never Enough, Jérémy Perpète (22 ans), étudiant d’HELMo Mode, a choisi de s’interroger sur l’essence de la famille traditionnelle en questionnant la place de la femme et la vision classique du genre. Si le discours mode du jeune designer est très engagé, la précision de son travail révèle la persévérance d’un garçon davantage centré, au début de son cursus, sur la création que sur la technique. « Depuis toujours, je rêvais d’intégrer une école de mode », raconte Jérémy. « Si l’approche très complète d’HELMo m’a séduit, j’avoue qu’en première année, l’un des professeurs ne croyait pas en ma capacité de dépasser mon manque de pratique. Pendant tout mon cursus, j’ai fait en sorte de lui prouver qu’il avait tort ».

Pour cette collection baroque et très aboutie, le designer a choisi de rendre hommage aux métiers d’art et de s’essayer à différentes techniques : broderie, tricot, perlage… « Cette démarche est partie de ma volonté personnelle d’explorer différentes facettes de l’artisanat d’art, un domaine qui m’a toujours fasciné. Par l’intermédiaire du Textlab de la Design Station de Liège (un lieu de recherche et d’expérimentation dans le registre du design textile, ndlr.), je suis entré en contact avec une étudiante de Saint Luc. C’est elle qui a imaginé les dessins sur lesquels j’ai basé mes deux broderies : les blasons colorés appliqués sur le manteau pour enrichir le brocard existant et ainsi récréer un nouveau tissu, et celui, d’inspiration religieuse, qui orne le devant d’une chemise. » Le résultat : une série de silhouettes entre masculin et féminin réalisées sur base de tissus issus d’anciens stocks qui soulignent le savoir-faire technique de Jérémy et la volonté de l’école liégeoise de former des créatifs, mais surtout de redoutables techniciens. « Cette collection m’a permis, d’une part, d’offrir un aperçu de mon savoir-faire technique et, d’autre part, de véhiculer certains messages. Pour moi qui suis de nature timide, le vêtement est un formidable outil d’expression, une manière de raconter la mode telle que je l’envisage. »

    

Une série de silhouettes entre masculin et féminin réalisées sur base de tissus issus d’anciens stocks qui soulignent le savoir-faire technique de Jérémy et la volonté de l’école liégeoise de former des créatifs, mais surtout de redoutables techniciens.


Le design textile selon Sarah van Overstraeten

Bien que très différente, ne serait-ce que par sa recherche sur les matières, l’autre collection primée cette année, celle de Sarah van Overstraeten (24 ans), n’en reste pas moins riche en questionnements et en messages subliminaux. La créatrice diplômée de l’IFAPME, qui entame aujourd’hui un bachelier en textile à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles, a imaginé une série de pièces qui, elles aussi, transcendent l’idée du genre. « La mode, je suis tombée dedans un peu par hasard après avoir entamé des études en architecture d’intérieur que j’ai abandonnées au bout de quelques années. Ce qui m’a fascinée dans la mode, c’est la rencontre avec la matière. Mes professeurs m’ont poussée à expérimenter de nombreuses techniques de transformation du tissu ou de teinture. Entre peinture sur textile et essais dans le domaine du tricot, ces études me sont apparues comme un laboratoire permanent. »

« Ce qui m’a fascinée dans la mode, c’est la rencontre avec la matière. Mes professeurs m’ont poussée à expérimenter de nombreuses techniques de transformation du tissu ou de teinture. »

 


© Michael Briglio

Conformément aux exigences de l’école, Sarah s’est intéressée à la maille qu’elle a teinte selon la technique du shibori, mais ses recherches l’ont également guidée vers la déconstruction de plusieurs vêtements. « Dans le cadre de ces expérimentations, j’ai agrandi une veste en jeans et un bleu de travail. Ces volumes réinventés m’ont ensuite conduite à m’essayer à l’art du plissé ». Comme Jérémy, Sarah a joué la carte collaborative en s’associant à Keita, un plasticien liégeois. Le t-shirt en denim né de cette alliance est rehaussé d’un dessin original de l’artiste.

 

le chocolatier voyageur


© Pep's Studio
C’est au contact des plus grands noms de la gastronomie belge qu’il se forme et c’est avec la complicité souriante de son épouse, Anne, qu’il se lance.

Le Guide Gault&Millau vient d’attribuer à Benoît Nihant le titre de meilleur chocolatier de l’année 2021 pour la Wallonie. Une juste récompense pour ce Liégeois qui n’hésite pas à arpenter le globe afin de trouver les meilleures fèves.


On s’en doute : ce titre a évidemment fait très plaisir à Benoît et Anne Nihant, ainsi qu’à leur équipe qui s’active dans leur atelier de fabrication à Awans. Pour autant, cette récompense n’est pas une surprise dans la mesure où l’on connaît la qualité du travail de celui qui a maintenant plusieurs magasins en Wallonie et à Bruxelles.
 « Nous restons toujours fidèles aux principes de base de notre entreprise et nous n’utilisons pas de raccourcis dans les procédés de mise en œuvre, explique le chocolatier. Ici, tout est fabriqué sur place, sans ajout d’industrialisation, dans une chaîne de production parfaitement intégrée au caractère entièrement artisanal. »

Si Benoît Nihant se distingue de nombre de ses confrères, c’est parce qu’il est également cacaofévier.


Message bien reçu. Si Benoît Nihant se distingue de nombre de ses confrères, c’est parce qu’il est également cacaofévier. Poussé par son attrait pour les matières premières nobles, sans aucun mélange, il n’hésite jamais à parcourir le monde à la recherche de fèves de cacao de qualité. Il contacte les producteurs locaux avec lesquels il procède toujours en accord amical. Ses tablettes de chocolat traduisent l’essence de chaque fève, de chaque plantation. Brésil, Madagascar, Équateur, Venezuela, Guatemala, Nicaragua, Honduras, Cuba sont les étapes de ce périple gustatif.

Une nouvelle plantation au Pérou

A la recherche de spécificités et de nouveautés aidant également à la reforestation durable et les bienfaits d’une agriculture diversifiée, le globe-trotter a acheté, en 2015, un hectare de terres cultivables au Pérou. Afin de lutter contre le narcotrafic, le gouvernement péruvien aide en effet les paysans en leur permettant de remplacer la culture du coca par celle du cacao. « En créant ma propre plantation à San Jose de Sisa, j’ai repoussé les limites de la création gustative et réalisé mon rêve », sourit le chocolatier qui, en nommant cette plantation ‘Luis de Sisa’, a fait un affectueux clin d’œil à son fils Louis.

Assisté sur place par une ingénieure agronome, Benoît veut privilégier une démarche durable en plantant des variétés plus rares aux qualités exceptionnelles, malgré les difficultés rencontrées à cause des infrastructures et d’un réseau routier assez calamiteux. Outre qu’il s’agit là d’une remarquable expérience humaine, les paysans locaux trouvent, de cette façon, des sources de revenu pérennes. Et le label « commerce équitable » s’inscrit parfaitement dans cette façon de gérer la terre dans des conditions de vie assez spartiates.


© Pep's Studio

« En créant ma propre plantation à San Jose de Sisa, j’ai repoussé les limites de la création gustative et réalisé mon rêve. »


Les secrets de la fabrication dévoilés aux visiteurs

Vous voulez voir comment Benoît Nihant fabrique son chocolat ? Il suffit de participer aux visites guidées organisées dans son atelier à Awans. L’initiation débute par une immersion dans l’univers des cabosses. Aux visiteurs, qui devront laisser leurs sens les transporter au gré d’un voyage dans le monde gourmand qui a son point de départ sous les tropiques, les chocolatiers expliquent comment la torréfaction, le concassage et le conchage contribuent à la transformation du chocolat d’origine jusqu’à une gamme des produits qui se décline en tablettes, caramels, pralines, pâtisseries, pâtes, truffes et verrines… La visite s’achèvera bien sûr par une dégustation. Une des dernières créations de Benoît Nihant est le « cœur samba » : de l’intense chocolat noir astucieusement fourré d’un caramel coulant au fruit de la passion et d’une subtile infusion de thé samba. Sa version du filtre d’amour…



© Pep's Studio

Tombé dans le chocolat à 7 ans

« Passionné de gastronomie et grand gourmand, j’avais à peine sept ans lorsque je me suis exercé, pour la première fois, à la réalisation de diverses pâtisseries dans la cuisine familiale. »

Quand une passion dévore un homme et qu’il veut à tout prix réussir, cela peut donner un authentique talent dans un domaine pour lequel il n’est pas destiné. C’est la belle aventure de Benoît Nihant qui, à l’aube de ses 30 ans, a quitté une situation professionnelle bien acquise – il était ingénieur commercial et dirigeait divers projets pour des multinationales – afin de rejoindre l’univers envoûtant et glamour de la chocolaterie. Pour concrétiser son projet, le Liégeois entame une formation en chocolaterie qui le conforte rapidement dans l’idée de proposer un produit différent.
C’est au contact des plus grands noms de la gastronomie belge qu’il se forme et c’est avec la complicité souriante de son épouse, Anne, qu’il se lance. Le couple ayant compris que la niche « haut de gamme » n’était guère représentée dans le domaine des chocolatiers, la nouvelle aventure pouvait commencer…


Benoît Nihant
Atelier et magasin
Rue de l’Estampage 6
B-4340 Awans
+32 (0) 4 365 72 57
www.benoitnihant.be

Magasins
Chaussée de Waterloo 506 - 1050 Ixelles
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17 ans de challenges

De chef de fratrie à chef d’entreprise, Agnès Flémal franchit le pas en 1984, au lendemain de sa remise de diplôme, lorsque son père lui annonce la faillite de l’entreprise familiale. Polytechnicienne, entrepreneure dans l’âme, elle relève le défi. Le nouveau millénaire la trouvera à la tête de WSL. Face à une feuille blanche.

 

« Je suis devenue entrepreneure à 24 ans. Ce n’était pas ce que j’espérais, mais j’ai plongé dans le bain parce que je ne voulais pas laisser soixante personnes sur le carreau et je n’en suis jamais ressortie. Quand la Région wallonne m’a recrutée, en 2002, pour diriger le premier incubateur technologique d’Europe, c’était autant en raison de mon expérience que parce que je suis une femme. Il semblait évident que je maternerais les petites spin-off. Mais moi, je ne materne pas, je challenge ! », souligne Agnès Flémal.

Seule, d’abord, en équipe, ensuite, elle développe et structure un écosystème unique et innovant. Mi-incubateur, mi-accélérateur, WSL est aujourd’hui le partenaire privilégié de 83 techno-entrepreneurs en projet ou à la tête d’une start-up “deep tech” de moins de 5 ans. « Nous assurons en permanence un suivi “hands on ”. Nous créons des services, observons chaque conseil d’administration, donnons des conseils en matière de Ressources Humaines, sur la structure des ventes ou la façon de lever des fonds. Nous travaillons en appui, pas à la place de », insiste la directrice.

De Liège à la Wallonie
Si WSL est né sur les hauteurs de la Cité ardente, dans le Liège Science Park du Sart Tilman, soit près de l’université, l’organisation est aujourd’hui présente dans toutes les provinces wallonnes. Une position multiple qui offre une plus grande proximité avec les entreprises incubées, les universités et les hautes écoles. WSL travaille également avec les pôles de compétitivité et l’Agence wallonne à l’Exportation et aux Investissements étrangers (Awex). « Au vu des domaines d’activités des entreprises que nous encadrons, il est naturel que l’extension wallonne se double d’une expansion internationale, au service de ses start-up », remarque la Directrice.

WSL a ainsi noué des liens privilégiés avec le Research Valley Partnership de l’Université de Texas A&M (Houston) et avec Cal Poly, l’Université d’État polytechnique de Californie. Il est labellisé par l’ESA (Agence spatiale européenne) et est devenu, en 2007, le premier incubateur hors USA labellisé par la National Business Incubation Association (NBIA). La même année, WSL est élu meilleur incubateur techno-entrepreneurs européen et entre dans le Top 10 mondial en 2019 (lire par ailleurs).

WSL en chiffres

124 start-up
107 millions d’euros - chiffre d’affaire cumulé des sociétés incubées
43 millions d’euros - valeur ajoutée des sociétés incubées
85 % taux de survie après 5 ans des entreprises suivies par WSL
11 % taux de création annuel d’emplois par les entreprises suivies par WSL
866 emplois directs


Techno, services et RH
« Chaque entreprise que nous soutenons représente une aventure différente et compliquée à sa façon. Il faut tenir compte de l’humain, des egos, d’intérêts que nous ne connaissons pas toujours de part et d’autre. Mais ce qui est gai et nous fait avancer, c’est l’idée d’être utiles à plein de moments, à plein d’endroits, grâce à une équipe interne de spécialistes réactifs et capables de travailler de manière transversale. Nous savons que rien n’est jamais acquis et que nous devons être attentifs à tout. Nous avons horreur de la zone de confort », insiste la directrice en renvoyant à la signification de WSL : « Will Stretch your Limits ».

WSL parmi les plus performants
Déjà primé en 2018, WSL s’est classé sixième dans le top 10 des incubateurs publics les plus performants au monde en 2019, lors d’une étude menée par l’association internationale suédoise UBI Global. Une belle reconnaissance pour WSL qui se retrouve aux côtés de « poids lourds » logés dans de grandes villes comme Baltimore, Turin ou Pékin.

Au niveau européen, WSL est classé troisième. Outre les incubateurs publics, le classement d’UBI Global comprend plusieurs autres catégories, comme les incubateurs universitaires, les incubateurs privés, les projets hybrides ou différents types d’accélérateurs pour start-up. Parmi les critères qui ont fait la différence pour l’incubateur wallon, on retrouve le chiffre d’affaires généré chez ses start-up et le taux de rétention des sociétés en Wallonie.

« Nous sommes tout petits parmi beaucoup de grands, dans un classement qui tient compte de pas mal de critères, vingt et un en tout, souligne Agnès Flémal. Nous sommes particulièrement bons pour ce qui est de garder les talents, puisque tout le monde reste en Wallonie. Et le chiffre d’affaire généré par nos start up endéans les trois ans est significatif, tout comme l’impact de ces sociétés sur le PIB wallon, qui reste l’objectif fondamental de l’action de WSL. »

www.wsl.be

Trois générations de succès

WSL accueille généralement une septantaine de start-up et de scale-up, qui restent en moyenne entre trois et cinq ans. 2019 a été marquée par le rachat de deux « pépites » portées par l’incubateur wallon. Cefaly, qui avait connu une belle croissance ces dernières années, a été reprise par un fonds d’investissement américain, tandis que Smartnodes (qui était toujours dans l’incubateur) est passée dans le groupe français Lacroix. « Soutenir nos spin off, c’est aussi les aider à saisir une opportunité quand elle se présente », remarque Agnès Flémal. « Dans le cas de Smartnodes, le groupe Lacroix a acquis une compétence particulière en même temps qu’une équipe multilingue qui lui permettra de se développer dans le Nord et l’Allemagne. »

Des trois générations de projets encadrés par son incubateur, la directrice retient particulièrement :

• Aerospace Lab, qui comptait deux personnes il y a un an et demi et en emploie quarante aujourd’hui, après deux levées de fonds et une ‘série A’ en cours.

• Coretech, l’un des premiers projets, positionné aujourd’hui comme «intégrateur de technologies, services et stratégies permettant de réduire les factures énergétiques de ses clients professionnels ».

• Axinesis, spin-off de l’Université catholique de Louvain (UCL), qui travaille à l’amélioration de la récupération fonctionnelle des patients grâce à des technologies innovantes et accessibles, dédiées à la réadaptation des membres supérieurs des patients atteints de lésions cérébrales.

Financé par une ligne budgétaire « variable » de la Région wallonne, WSL est l’acteur-support des deep tech. « Nous n’acceptons que des projets ayant une technologie disruptive, menés par des gens qui ont une maîtrise technologique, précise Agnès Flémal. Le niveau d’exigence à l’entrée a été relevé, de sorte que le nombre de dossiers que nous accepterons chaque année tournera désormais autour d’une dizaine, contre une quinzaine auparavant. Mais nous en recevons toujours autant.»

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